Me comparer à un casque à pointe !
Et von Blücher qui plus est ! Quel affront !
Quant au rôle de Grouchy, il aurait mieux valu y coller Legénéral car pour ce qui est de sucrer les fraises...
Pour la peine, voici la version originale, piètre plagieur !
Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine!
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, 70
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc sanglant! des héros Dieu trompait l’espérance;
Tu désertais, victoire, et le sort était las. 75
Ô Waterloo! je pleure et je m’arrête, hélas!
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain! 80
Le soir tombait; la lutte était ardente et noire.
Il avait l’offensive et presque la victoire;
Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille 85
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit: Grouchy!—C’était Blücher!
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme. 90
La batterie anglaise écrasa nos carrés.
La plaine où frissonnaient nos drapeaux déchirés
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge,
Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge;
Gouffre où les régiments, comme des pans de murs, 95
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l’on entrevoyait des blessures difformes!
Carnage affreux! moment fatal! L’homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait. 100
Derrière un mamelon la garde était massée,
La garde, espoir suprême et suprême pensée!
—Allons! faites donner la garde, cria-t-il,—
Et lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires, 105
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête. 110
Leur bouche, d’un seul cri, dit: vive l’empereur!
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.
Hélas! Napoléon, sur sa garde penché, 115
Regardait; et, sitôt qu’ils avaient débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d’acier,
Comme fond une cire au souffle d’un brasier. 120
Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques,
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques!
Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde.—C’est alors
Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée, 125
La Déroute, géante à la face effarée,
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées, 130
La Déroute apparut au soldat qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut!
Sauve qui peut! affront! horreur! toutes les bouches
Criaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux, 135
Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil!
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient.—En un clin d’œil, 140
Comme s’envole au vent une paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas, où l’on rêve aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui!
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, 145
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants!
Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve;
Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; et dans l’épreuve 150
Sentant confusément revenir son remords,
Levant les mains au ciel, il dit:—Mes soldats morts,
Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre.
Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère?—
Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, 155
Il entendit la voix qui lui répondait: Non!
Victor-Maie Hugo (1802-1885),
L'Expiation, partie II (Les Châtiments).